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Naissance et petite enfance à l'époque romaine >
Naître différent
Définir la monstruosité
"On jugea toutes ces créatures scandaleuses et aberrantes, fruits d'une nature qui s'égarait à mélanger les espèces".
Tite-Live, Histoire romaine, 31.12.
Définition lexicale
Différents termes désignent les naissances d'enfants anormaux:
prodigium, ostentum, monstrum, miraculum, omen. Ce vocabulaire contient
la notion d'avertissement et de présage. Sa richesse témoigne de l'extrême attention
portée à l'observation des prodiges. Il est toutefois difficile de définir plus
précisément la signification exacte de chacun de ces mots, que les auteurs anciens utilisent
de manières diverses.
Définition culturelle
Différents types d'anomalies sont déclarées aux
autorités: créatures hybrides, absence ou présence de membres surnuméraires,
hermaphrodisme, dents précoces..Elles ne sont pas toutes également funestes. Quelles sont
les malformations jugées contre-nature qui entraînent l'élimination de l'enfant?
Où plaçait-on le seuil de la monstruosité?
La naissance d'un enfant hermaphrodite ou androygne,
défini par la présence d'organes des deux sexes, ou d'un sexe indéterminé,
est particulièrement redoutée. L'absence de différenciation claire entre les sexes est
perçue comme une menace, un écart insupportable qui remet en question l'ordre de la société.
Indice de la gravité exceptionnelle de ce signe, les sources mentionnent non seulement des nouveau-nés, mais aussi de jeunes enfants âgés de 8 ans, 10 ans, 12 ans et même de 16 ans, qui sont dénoncés et mis à mort (Tite-Live, Histoire romaine, 39.22).
Les hybrides, mi-homme, mi-animal, sont plus rares, mais représentent des signes tout aussi effrayants de retour à la bestialité: porcs avec une tête ou des pieds et des mains humaines, bébé à tête d'éléphant...(Pline, Histoire naturelle, 7.34-35)
Les sources décrivent plusieurs exemples de nouveau-nés bicéphales ou avec des parties surnuméraires, probablement des jumeaux siamois, qui constituent un autre cas grave. Dans son traité De la divination (1.121), Cicéron donne l'interprétation traditionnelle de ce signe, un changement dans le pouvoir: "La naissance d'un enfant à deux têtes annonce une sédition dans l'Etat, ou corruption et adultère dans la famille". Il garde sa valeur négative à l'époque impériale (Tacite, Annales, 15.47).
D'autres anomalies constituent des signes de mauvais augure, mais sans entraîner la mort de l'enfant. La mère des Gracques serait ainsi née "avec les parties sexuelles closes" (Pline, Histoire naturelle, 7.69). Ce signe annonçait le destin tragique des ses enfants. L'interprétation peut varier selon différents facteurs, comme le sexe de l'enfant, ou l'emplacement exact du signe corporel. Naître avec des dents est ainsi de mauvais augure pour les filles, mais pas pour les garçons. Avoir une double canine à la mâchoire supérieure est un signe de fortune du côté droit, funeste du côté gauche (Pline, Histoire naturelle, 7.68-69).
Des anomalies légères étaient tolérées. Dans la famille des Lépides, trois personnes, à intervalles d'une génération, avaient "l'oeil recouvert d'une membrane" (Pline, Histoire naturelle, 7.51). Naître avec six doigts n'était pas jugé effrayant. Cette malformation, qui valut aux filles de M. Coranus le surnom de Sedegita, était opérée à la fin de l'Antiquité (Pline, Histoire naturelle, 11.244).
Textes
Tite-Live, Histoire romaine, 31.12
Tite-Live, Histoire romaine, 39.22
Pline, Histoire naturelle, 7.34-35
Tacite, Annales, 15.47
Pline, Histoire naturelle, 7.68-69
Bibliographie pour la fiche
A. Allély, Les enfants malformés et considérés comme prodigia àRome et en Italie sous la République, Revue des études anciennes, 105 (1), 2003, 127-156.
-, Les enfants malformés à Rome sous le Principat, Revue des études anciennes, 16, 2004, 73-101.
L.
Brisson, Aspects politiques de la bisexualité, in M. B. de
Boer, T. A. Edridge (éds), Hommages à M. J. Vermaseren,
I, Leiden, 1978, 80-122.
-, Le sexe incertain: androgynie et hermaphrodisme dans l'Antiquité
gréco-romaine, Paris, 1997.
V. Dasen, Les naissances multiples dans les textes médicaux antiques, Gesnerus, 55, 1998, 3-4, 183-204.
-, Jumeaux, jumelles dans l'Antiquité grecque et romaine, Kilchberg, 2005.
M. Delcourt, Stérilités mystérieuses et naissances
maléfiques dans l'antiquité classique, Liège/
Paris, 1938.
C. Moussy, Esquisse de l'histoire de monstrum, Revue des études
latines, 55, 1977, 345-369.
Pour comparer avec les pratiques d'autres cultures:
V. Dasen, A. Leroi, Homme ou bête? Le dieu caché de l'anencéphale d'Hermopolis, in A. Carol, R. Bertrand (éds), Le monstre humain: imaginaire et société, Aix en Provence, 2005, 21-44.