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La mort de l'enfant
Conduite privée - conduite publique
" La douleur qui nous étreint le cœur à la mort d'un
enfant est une cause d'affliction bien naturelle et, d'ailleurs, elle
est indépendante de notre volonté. Pour ma part, je
ne suis pas d'accord avec ceux qui prônent cette impassibilité
sauvage et dure, au surplus impossible et inutile, car elle nous prive
de cette bienveillance qui naît de l'amour partagé et
qu'il faut sauvegarder plus que tout. D'autre part, se laisser emporter
au-delà de toute mesure et contribuer à aggraver nos
deuils, voilà, je l'affirme, qui est contraire à la
nature et vient de l'opinion incorrecte qui est la nôtre. Aussi
une telle attitude doit-elle être bannie: elle est nuisible,
funeste et tout à fait indigne d'hommes sensés; en revanche, on ne doit pas condamner la souffrance qui sait se modérer".
Plutarque, Oeuvres morales, Consolations à sa femme.
Deuil au masculin, deuil au féminin
Quelles règles dictent le comportement des familles face au deuil d'un enfant? Les conventions diffèrent selon le sexe. Hommes et femmes ne sont pas autorisés à manifester de la même manière leur peine et leurs regrets.
Le deuil au masculin doit respecter des normes sociales strictes. Des hommes, on attend qu'ils maîtrisent leurs émotions et limitent l'interruption de leurs activités publiques, même à la mort d'un enfant adulte, d'un parent ou d'un ami proche. Ils prononceront l'éloge funèbre du défunt (laudatio funebris), mais sans se livrer à des manifestations excessives de chagrin. Source potentielle de désordre politique et social, le temps de marge du deuil doit être écourté. "Il y a des exemples sans nombre de pères qui suivirent sans pleurer le convoi d'enfants adultes (iuvenes); qui du bûcher revinrent au sénat ou à l'exercice de quelque charge publique et passèrent incontinent à d'autres soins", rapporte Sénèque (Lettres à Lucilius, 99.6).
Aux femmes revient la démonstration du deuil. "La nature du sexe est de pleurer" dit Sénèque (Helvia, 16.1). Devant le corps exposé, pleurs et gestes de mortification (joues griffées, cheveux arrachés ou recouverts de cendre... ) se mêlent pour exprimer une douleur indicible (planctus, neniae).Ce sont encore des femmes, des pleureuses professionnelles, qui font résonner le chant funèbre qui accompagne le mort jusqu'au bûcher. La législation funéraire leur impose aussi des limites "afin de composer par une règle officielle (publica constitutione) avec l'obstination de la douleur des femmes" (Sénèque, Helvia, 16.1): dix mois au maximum pour un père, un fils ou un frère.
De la République à l'Empire
L'expression des sentiments envers les enfants évoluent vers
la fin de la République.A l'époque impériale,
les témoignages de chagrin paternel se multiplient. Les pères
formulent leur attachement pour un enfant, même en bas âge.
La fille cadette de Fundanus, écrit Pline, n'avait pas 13 ans,
mais "je n'ai jamais rien vu de plus gracieux , de plus aimable
que cette enfant, rien qui méritât mieux non seulement
une vie plus longue, mais presque l'immortalité". "Quelle
mort affligeante et venue trop tôt (O triste plane acerbumque
funus!) (Pline le Jeune, Lettres, 5.16). Le chagrin de
son père est non seulement reconnu mais partagé. Plutarque
décrit le bonheur que lui procurait la compagnie de sa petite
fille de deux ans: "Un charme tout particulier s'attache, en
outre, à l'amour que l'on porte aux enfants d'un âge
si tendre: la joie qu'ils nous donnent est si pure et si libre de
toute colère et de tout reproche! La nature avait donné
à notre fille une amabilité et une douceur merveilleuses;
sa manière de répondre à notre tendresse et son
empressement à faire plaisir nous ravissaient tout à
la fois et nous révélaient la bonté de son caractère"
(Consolations à sa femme, 2, 608D).
Les conventions sociales demeurent toutefois. La bienséance demande d'éviter tout deuil démonstratif. Pline le Jeune fustige le comportement excessif de Regulus qui fit non seulement brûler les animaux familiers, poneys, chiens, rossignols, perroquets, merles... que son fils aimait, mais l'immortalise sous la forme de statues et de portraits: " Ce n'était pas chagrin, mais étalage de chagrin" (Pline le Jeune, Lettres, IV.2 et 7).
Textes
Sénèque, Lettres à Lucilius, 63, 13
Plutarque, Oeuvres morales, Consolations à sa femme, 4, 608F-609A
Sénèque, Lettres à Lucilius, 99.6-9
Pline le Jeune, Lettres IV.2 et 7
Valère Maxime, Faits et dits mémorables, 5.10
Bibliographie pour la fiche
M.
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dell'anima, Roma, 1986.
E. Cuq, Funus, in C. Daremberg, E. Saglio (éds), Dictionnaire
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P. Gachon, s.v. Luctus, in C. Daremberg, E. Saglio (éds), Dictionnaire
des antiquités grecques et romaines, 3.2, 1348-1351.
G. Herzog Hauser, Trauerkleidung, in RE, 6.A 2 , col. 2225-2231.
N. Loraux, Les mères en deuil, Paris, 1990.
J. Maurin, Funus et rites de séparation, AION (archeol.),
6, 1984, 191-208.
F. Prescendi, Il lutto dei padri nella cultura romana, in La mort
au quotidien dans le monde romain, Paris, 1995, 147-154.
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in Th. Späth, B. Wagner-Hasel (éds.), Frauenwelten
in der Antike. Geschlechterordnung und weibliche Lebenspraxis,
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